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LA TRAITE DES FOURRURES

Traite des fourrures en Nouvelle-France et en Acadie

Au début du XVIIe siècle, afin de faciliter la traite, des négociants français établissent des postes permanents sur les côtes de l’Acadie, à Tadoussac ainsi qu'à Québec en 1608. L'année suivante, des Hollandais commencent à commercer sur le fleuve Hudson (État de New York) et, en 1614, ils établissent des postes à Manhattan et en amont du fleuve à Orange (Albany). Cette activité marque le début d'une intense rivalité entre deux empires commerciaux naissants. Au cours de ces années, le grand nombre de négociants qui envahissent alors la région du Saint-Laurent et la concurrence impitoyable qu'ils se font diminue fortement les profits. En vue d'imposer un certain ordre, la Couronne accorde alors des monopoles dans ce commerce à certains individus. Ceux-ci s'engagent en retour à protéger les droits des Français sur les nouveaux territoires et à aider l'Église catholique dans ses tentatives de convertir les autochtones au christianiste.

 

Postes de traite des fourrures

En 1627, le cardinal Richelieu, principal ministre de Louis XIII, met sur pied la COMPAGNIE DES CENT-ASSOCIÉS, dans le but d'assurer un appui plus solide aux revendications territoriales de la France et aux efforts des missionnaires. On envoie des missionnaires en Nouvelle-France : en 1615, quatre récollets et, en 1625, les premiers représentants de la puissante Société de Jésus (les jésuites) débarquent à Québec. Ils établissent une mission, SAINTE-MARIE-DES-HURONS près de la baie Georgienne, mais les Huron s'intéressent davantage aux marchandises des Français qu'à leur religion. Ce sont toutefois les profits de la traite des fourrures qui soutiennent les missionnaires et permettent à la compagnie d'envoyer des centaines de colons. En 1642, on fonde Ville-Marie (Montréal) en tant que centre missionnaire. En 1645, la compagnie cède aux colons le monopole des fourrures et l'administration de la colonie. Ils se révèlent malheureusement de piètres administrateurs, et les revenus de la traite des fourrures fluctuent considérablement à la suite du blocus par les Iroquois de la rivière des Outaouais, jalon de la route vers l'ouest. Finalement, après l'appel désespéré lancé à Louis XIV par les autorités coloniales, la Couronne reprend charge de la colonie en 1663.

 

Chef Huron
Nicholas Isawanhanhi, chef Huron, porte le manteau régimentaire généralement remis aux autochtones pendant la traite des fourrures.

Le produit le plus important de la traite est encore la peau de castor pour l'industrie du chapeau. Le Ministre de la marine, responsable des affaires coloniales, loue le commerce des Antilles, la traite des esclaves africains et la commercialisation des peaux de castors et d'orignaux du Canada à la nouvelle Compagnie des Indes Orientales, qui, en réalité, est une compagnie de la couronne. On permet à tous les habitants de la colonie de faire la traite des fourrures avec les autochtones, mais les colons sont tenus de vendre les peaux de castors et d'orignaux à la compagnie au prix fixés par le ministère de la Marine. Toutes les autres fourrures sont vendues sur un marché libre, mais les peaux de castors et d'orignaux échappent à la loi de l'offre et de la demande.

 

Le chapeau de castor est très à la mode en Europe au XVIIIe et XIXe siècle. Voici, de gauche à droite, à partir d'en haut : le tricorne, le bicorne de marine et le chapeau clérical; deuxième rangée : l'élégant Parisien, le Wellington et le D'Orsay; troisième rangée : le chapeau de la régence anglaise et le shako d'armée.

Jean-Baptiste Colbert, ministre français de la Marine, veut diversifier l'économie canadienne dans la production de matières premières destinées à l'industrie française : bois, minéraux et denrées alimentaires pour les plantations des Antilles. Tels sont les objectifs de la France qui envoie alors, aux frais de la Couronne, des milliers d'immigrants au Canada. Colbert découvre qu'un grand nombre des jeunes hommes quittent les colonies et disparaissent pendant des années pour commercer avec les autochtones dans leurs villages éloignés. Les principaux motifs de ce phénomène sont l'appât du gain assuré dans la traite des fourrures et l'absence quasi totale de femmes dans les colonies. Jusqu'en 1710, en effet, un homme sur sept seulement peut espérer trouver une femme, dont la présence est essentielle sur une ferme. Dans l'intérieur du pays, cependant, ces jeunes Français s'unissent rapidement à des femmes autochtones capables de faciliter leur adaptation à la vie dans les bois. Forcé de composer avec l'attrait du commerce des fourrures, Colbert instaure, dès 1681, le système du congé. Chaque année, le gouverneur et l'intendant doivent accorder 25 congés, soit des permis de faire la traite. Chaque permis donne le droit à trois hommes de partir avec un canot vers l'ouest. On espère ainsi que les colons attendront leur tour, ce qui laissera la colonie à court de 75 hommes seulement par année.

 

Répartition du Castor

Le nouveau système ne réussit pas à diminuer le nombre d'hommes qui quittent les colonies (la plupart illégalement), et les peaux de castors continuent d'arriver à Montréal en quantités astronomiques. Cela provoque un immense engorgement du marché dont se plaint, dès les années 1690, le Domaine de l'Occident, qui, en 1674, a dû prendre la relève du commerce du castor de la défunte Compagnie des Indes occidentales. En désespoir de cause, le ministre de la Marine ordonne, en 1696, d'interrompre le commerce de la peau castor, de cesser d'accorder des congés et d'abandonner tous les postes français dans l'Ouest, sauf Saint-Louis-des-Illinois. Cela se déroule à l'époque où la France et l'Angleterre sont en guerre et où les Canadiens combattent désespérément contre les colons anglais et leurs alliés iroquois. À Québec, le gouverneur et l'intendant protestent vigoureusement et déclarent que l'abandon des postes implique l'abandon des alliés autochtones qui passeront du côté des Anglais. Ce sera la ruine de la Nouvelle-France. De plus, les Anglais étant installés depuis 1670 dans des postes sur la baie d'Hudson, les postes français à l'Ouest sont essentiels pour contrer cette compétition. En 1682, on fonde la COMPAGNIE DU NORD afin de concurrencer la CBH sur son propre territoire, mais l'entreprise échoue. Le ministre de la Marine est forcé d'abroger ses ordonnances, et le commerce du castor reprend pour des raisons purement politiques.

 

Découvertes, terres intérieures de l'Ouest

En 1700, à la veille de nouvelles hostilités, Louis XIV ordonne l'établissement de la nouvelle colonie de la Louisiane dans le bas Mississippi, de colonies dans la région de l'Illinois et d'un poste de garnison à Détroit. Le but est d'encercler les colonies anglaises entre les monts Alleghany et l'Atlantique. Le succès de cette politique impérialiste dépend de l'appui des nations autochtones, et on utilise la traite des fourrures pour conserver leur alliance.

En 1715, les Français découvrent que les rongeurs et les insectes ont consommé les abondantes peaux de castors dans les entrepôts. Cela relance immédiatement le marché des fourrures. Si elles représentent un poste minuscule dans le bilan du commerce extérieur de la France et si leur part diminue à mesure que s'accroît le commerce des produits primaires et des biens manufacturés des colonies tropicales, il reste que les fourrures sont le pivot de l'économie canadienne.

Contrairement à la CBH et à sa structure monolithique pourvue d'employés rémunérés, la traite des fourrures en Nouvelle-France est menée, jusqu'au début du XVIIIe siècle, par des dizaines de petites sociétés de personnes. Au XVIIIe siècle, à mesure que les frais de ces sociétés augmentent proportionnellement à la longueur des distances parcourues, le commerce des fourrures en vient à passer aux mains de quelques Bourgeois, qui embauchent des centaines de Voyageurs salariés. La plupart des compagnies comptent trois ou quatre hommes qui obtiennent des autorités un bail de trois ans pour commercer dans un poste spécifique. Les profits et les pertes sont partagés entre les membres, proportionnellement à leur mise de fonds. Ils se procurent les marchandises d'échange à crédit, à un taux d'intérêt de 30 p. 100, chez quelques marchands de Montréal, qui écoulent aussi les fourrures par l'entremise de leurs agents en France. Le salaire des voyageurs qui passent l'hiver dans l'Ouest varie de 200 livres à 500 livres. Ceux qui partent en canot vers l'Ouest au printemps et reviennent avec le convoi de l'automne touchent de 100 livres à 200 livres plus leurs frais de subsistance (soit environ le double de ce que gagne un ouvrier ou un artisan dans la colonie).

Entre 1715 et la GUERRE DE SEPT ANS (1756-1763), la traite des fourrures prend beaucoup d'ampleur et sert aussi bien à des fins économiques, politiques que scientifiques. Les Français instruits s'intéressent vivement aux recherches scientifiques, et les membres du gouvernement, avides de connaître l'étendue de l'Amérique du Nord, souhaitent qu'un Français soit le premier à découvrir une voie de terre vers la mer de l'Ouest. Gaultier de la Verandry et d'autres officiers supérieurs canadiens reçoivent pour mission de découvrir cette route. On leur donne le commandement de vastes régions de l'Ouest (dont certaines empiètent sur les territoires revendiqués par les Britanniques), avec droit exclusif sur la traite des fourrures. Ils doivent payer à même leurs profits les coûts de l'entretien de leurs postes et de l'envoi des missions exploratrices vers l'Ouest, le long des rivières Missouri et Saskatchewan. La Couronne s'assure ainsi que la traite des fourrures compense les coûts de ses recherches scientifiques et maintient son autorité sur ces sujets dispersés en pleine nature. Cela lui permet aussi d'entretenir ses alliances avec les nations autochtones afin d'écarter les Anglais. En 1756, quand la guerre avec l'Angleterre met fin à exploration, les Français ont atteint les contreforts des Rocheuses. La guerre entre les Pied-Noire et les Cris empêche d'explorer plus avant.

 

Pendant toute cette période, la CBH et les commerçants canadiens se livrent une âpre concurrence, et ces derniers prennent la part du lion. Ils profitent de nombreux avantages : ils contrôlent les principales voies d'eau de tout l'Ouest, ils disposent de toute l'écorce de bouleau nécessaire à la fabrication des canots (ce qui manque complètement aux Anglais et à la CBH), les autochtones préfèrent leurs marchandises d'échange à celles des Anglais, ils ont de bonnes relations avec les autochtones avec lesquels ils ont même des liens de parenté. Les Anglais des Treize Colonies tentent par tous les moyens d'obtenir plus de territoires pour la colonisation, ce qui irrite les autochtones. Les Français ne convoitent pas les territoires des autochtones, mais sont déterminés à en priver les Anglais.

Les commerçants de la CBH ne font rien, en fait, pour pousser leur commerce dans l'intérieur du pays. Ils attendent plutôt dans leurs postes que les autochtones viennent à eux. Ceux-ci ont l'astuce de monter les Anglais contre les Français en traitant avec les uns et les autres. Les Français n'osent pas empêcher les autochtones d'apporter des fourrures à la baie, mais s'assurent de choisir les meilleures et de ne laisser à leurs rivaux que les fourrures encombrantes et de piètre qualité. Dans la région du Saint-Laurent, les négociants de New York et de la Pennsylvanie tentent peu de concurrencer les Canadiens. Ils achètent plutôt des fourrures clandestinement des marchands montréalais. De cette façon, les Canadiens obtiennent une bonne provision de gros drap de laine anglais, la marchandise par excellence du commerce anglais. Le commerce illicite entre Montréal et Albany enlève aux négociants new-yorkaise toute bonne raison de vouloir concurrencer les Canadiens dans l'Ouest.

Lorsque commence la guerre de Sept Ans, la gestion de la traite des fourrures se fait encore depuis Montréal. Il faut continuer d'approvisionner les communautés autochtones, mais le volume des fourrures exportées diminue sans cesse. Un an après la capitulation de Montréal, en 1760, on commence à revitaliser la traite des fourrures grâce aux appuis importants des capitaux britanniques et de la main-d'oeuvre canadienne.

 

La traite des fourrures après 1760

Au moment de la conquête (1759-1760), deux systèmes dominent la traite commerciale des fourrures de la moitié septentrionale du continent : le système du Saint-Laurent et des Grands Lacs, dont le centre est Montréal et qui s'étend jusqu'au haut Mississippi et à ses principaux affluents septentrionaux ainsi qu'aux Prairies et à la partie méridionale du Bouclier canadien, et le système de la Terre de Rupert, qui, en théorie, comprend tout le bassin hydrographique des baies James et d'Hudson. Le système du Saint-Laurent et des Grands Lacs, développé par les Français, en vient à être servi par le commerce « en dérouine » (itinérant), c'est-à-dire que la traite, dominée par de petites sociétés de personnes, est menée par des équipes de quelques hommes chargés d'aller faire affaires avec les autochtones dans leurs propres territoires. Le système de la Terre de Rupert n'avait pas évolué de la même façon. En 1760, les employés de la CBH ont toujours comme pratique de rester dans leurs factoreries côtières (principaux comptoirs de traite) et d'y attendre la venue des autochtones.

 

York Factory, en 1853, à son âge d'or comme principal dépôt de la Compagnie de la baie d'Hudson.

Après la Conquête, les marchands anglo-américains (yankees ou bostonnais), anglais et écossais des Highlands supplantent les bourgeois canadiens et les agents des marchands français à Montréal. Les nouveaux « itinérants » créent un lien commercial avec Londres. Cette recrudescence d'activités à Montréal perturbe la CBH dans son « sommeil au bord de la mer gelée ». Le succès de ces nouveaux rivaux oblige la compagnie à modifier sa politique commerciale, et, en 1774, elle pénètre dans l'intérieur pour fonder, Cumberland House près de la rivière Saskatchewan. Les itinérants, quant à eux, apprennent que la coopération, plutôt que la concurrence, est le gage de réussite commerciale.

 

Fort William, en Ontario, était le centre de traite des fourrures du Nord-Ouest

Ils fondent ainsi la Compagnir du Nord-Ouest (CNO). Cette compagnie domine bientôt le commerce en s'assurant le monopole effectif dans la région bien pourvue en fourrures du lac Athabasca. La fourrure de base (castor) et les fourrures de luxe (vison, martre, loutre, etc.), insurpassables en qualité et en nombre, assurent de jolis profits en dépit des coûts élevés d'un système de transport nécessairement à forte main-d'oeuvre, celui des brigades en canot. La ruée annuelle des brigades de Fort Chipewyan à GRAND PORTAGE (plus tard FORT WILLIAM) sur le lac Supérieur est, en bonne part, à l'origine de l'image romantique de la traite des fourrures. La CNO, afin de conserver son monopole dans la région de l'Athabasca, rivalise, à perte si nécessaire, avec ses adversaires sur la rivière Saskatchewan, autour du lac Winnipeg et au nord des Grands Lacs. Sur la rivière Saskatchewan Nord, les compagnies rivales jouent à saute-mouton, l'une doublant les postes de l'autre afin de s'assurer un avantage commercial auprès des autochtones de l'Ouest.

Dans toutes les régions, de petites équipes voyagent « en dérouine » pour arrêter au passage les autochtones en route vers les postes rivaux et, si nécessaire, les forcer à traiter avec elles. Dans cette compétition, la CBH semble désavantagée en dépit du vaste entrepôt dont elle dispose, la YORK FACTORY, à la baie d'Hudson, beaucoup plus près des régions de collecte de fourrures que ne l'est le centre de transbordement de la CNO à Montréal.

La CBH n'a pas le personnel et l'équipement voulus pour voyager et commercer dans l'intérieur du pays. Ce n'est que dans les années 1790 qu'elle lance sa brigade de BARGES D'YORK en riposte aux canots du maître et aux canots du Nord de ses rivaux. Toutefois, les améliorations que la CBH apporte à son personnel et à son équipement ne suffisent pas à changer le cours du commerce en sa faveur.

Des agents montréalais, dont Simon « Le Marquis »MCTAVISH et son neveu et successeur William MCGILLIVRAY, dirigent habilement les affaires de la CNO, mais la compagnie doit surtout son succès à l'ardeur de ses officiers et de ses « engagés ». Des HIVERNANTS participent aux prises de décision et ont droit à leur part des profits. La CNO, contrairement à la CBH, permet à ses employés d'épouser des femmes autochtones « à la façon du pays », politique qui assure une certaine stabilité et génère une population de MÉTIS assez importante au début du XIXe siècle. Alexander MACKENZIE, en 1789, porte le drapeau de la compagnie jusqu'à l'océan Arctique et, en 1793, atteint l'océan Pacifique par voie de terre. Plus tard, des explorateurs tels que Simon FRASER et David THOMPSON ouvrent des territoires à la traite des fourrures à l'ouest des Rocheuses. La signature du TRAITÉ DE JAY, en 1794, met fin au commerce dans le Sud-Ouest, et une nouvelle rivale, la Compagny XY, voit le jour en 1798, mais la CNO relève le défi et, en 1804, absorbe cette entreprise arriviste.

 

Fusion des compagnies du Nord-Ouest et de la baie d'Hudson

C'est la remontée de la CBH, amorcée en 1810, qui a finalement raison de la CNO. Cette année-là, le comte de SELKIRK, ayant décidé d'établir une colonie sur le territoire de la CBH, acquiert suffisamment d'actions pour pouvoir se permettre de placer quatre amis (dont deux membres de sa parenté) au comité de direction de sept membres de la CBH. Ces nouveaux arrivés dans la compagnie mettent l'accent sur l'efficacité du processus de traite afin de réduire les coûts et de changer ainsi les pertes en profits. Leur succès pousse la compagnie à tenter d'envahir la région d'Athabasca en 1815. La mauvaise planification de l'expédition et l'influence de la CNO sur les autochtones de la région causent la mort par inanition de 15 hommes. Sans démordre, la CBH y retourne quelques mois plus tard et, cette fois, s'attaque au monopole de la CNO.

La Colonne de la rivière Rouge fondée par Selkirk profite de l'appui et de la coopération du comité de direction, quoique les officiers dans la région ne se montrent guère enthousiastes. Considérant que les colons de la rivière Rouge appuient sa rivale nouvellement relancée, la CNO convainc les Métis locaux, les premiers colonisateurs de la région, que leurs terres sont menacées. Le conflit commercial dégénère en violence, et, le 19 juin 1816, le gouverneur de la colonie et quelque 20 colons et commis de la CBH sont tués dans L’incident de Seven Oaks. Les Métis n'y perdent qu'un seul homme. Ces événements incitent le gouvernement britannique à exiger que les compagnies rivales règlent leurs différends. À cette fin, le gouvernement adopte une loi lui permettant d'offrir une licence commerciale exclusive valable pour 21 ans dans les régions de l'Amérique du Nord britannique situées au-delà du front de colonisation et à l'extérieur de la Terre de Rupert. En 1821, les deux compagnies élaborent l'acte formaliste unilatéral, un document qui décrit les termes de leur coalition, précise les modalités du partage des profits de la traite entre les actionnaires et les officiers sur le terrain et définit leur cogestion de la traite. C'est de cette façon et grâce au partage des profits que des éléments de la CNO parviennent à survivre dans la nouvelle CBH, bien que cette coalition de nom devient, en fait, une absorption par la CBH lorsque le conseil d'administration est éliminé en 1824. Après 1821, la majorité des dirigeants de la CBH sont en effet d'anciens Nor'Westers (hommes de la CNO).

Les accords commerciaux entre les deux rivales et le soutien de la législation et de la proclamation gouvernementale ne peuvent dissimuler la défaite de la CNO. La CBH victorieuse cherche de nouveau à augmenter son efficacité. Sous la direction du gouverneur George SIMPSON, le « petit empereur », la compagnie fait des profits insoupçonnés. De tels profits exigent cependant d'exercer un contrôle permanent des coûts, de chercher sans cesse à économiser et de suivre une politique de vive concurrence avec les adversaires dans les régions pionnières. Par les politiques de la compagnie et les actions de son personnel, les habitants du vieux Nord-Ouest subissent les effets des changements provoqués en Grande-Bretagne par la révolution industrielle.

En surveillant les coûts de la traite, Simpson se rend compte de l'importance d'apporter un soutien aux trappeurs et aux chasseurs autochtones. Dans les moments difficiles, la compagnie offre au trappeur et à sa famille des services médicaux ainsi que des fournitures et des provisions. Cependant, en systématisant de tels services, les politiques de Simpson poussent les autochtones dans un rapport de dépendance croissante avec la compagnie. Tant que la Chasse aux Bisons demeure possible, les autochtones des Plaines ne dépendent pas des services de la compagnie, mais pour d'autres, la nouvelle réalité est une dépendance économique sans cesse croissante. Les réformes de Simpson permettent toutefois l'expansion de la CBH le long de la côte du Pacifique, vers l'Arctique et dans l'intérieur du Labrador, jusqu'alors en grande partie inconnu. Ce vaste domaine d'animaux à fourrures attire des rivaux.

La stratégie fondamentale de Simpson est de mener la concurrence dans les régions frontalières de manière à préserver le commerce dans l'intérieur. Sur la côte du Pacifique, il conclut une entente avec la Russian Fur Company qui permet à la CBH de poursuivre le commerce maritime et de concurrencer les Américains avec succès. Au sud et à l'est du fleuve Columbia, il encourage le piégeage à blanc de la région dans le cadre d'une « politique de la terre brûlée » qui consiste à ne laisser aucun animal pouvant attirer les « montagnards » américains ou les trappeurs. Dans la région des Grands Lacs, il donne des permis à de petits commerçants, afin qu'ils mènent la concurrence sur le territoire de l'American Fur Company, qui abandonne finalement le terrain moyennant une rente annuelle de 300 livres. Plus loin vers l'est, les adversaires sont plus difficiles à déloger. Les POSTES DU ROI établis au nord du Saint-Laurent, anciennes propriétés du roi de France, avaient été attribués en 1822 à un certain Goudie, de Québec, et la région de coupe de bois le long de la rivière des Outaouais constituent des points de traite potentiels. Cependant, la compagnie poursuit vigoureusement ses compétiteurs dans toutes les régions frontières, maintenant son monopole sur la Terre de Rupert et sur les territoires assujettis à des licences dans le Nord et dans l'Ouest. Même dans les années 1830, lorsque la soie remplace le feutre comme matière première préférée pour la fabrication des chapeaux et le castor perd de sa valeur en tant que fourrure de base, la compagnie continue de faire des profits en exploitant davantage les fourrures de luxe. Finalement, c'est la colonisation, et non ses adversaires commerciaux, qui finiront par avoir raison de la compagnie.

 

Le défi de la colonisation

À l'ouest des Rocheuses, les colons américains réussissent là où les montagnards et les capitaines de bateaux ont échoué. Conséquemment au TRAITÉ DE L'OREGON de 1846, la CBH retraite au nord du 49e parallèle. À l'est, à la colonie de la rivière Rouge, la compagnie surmonte le problème des commerçants indépendants en accusant, en 1849, Guillaume Sayer et trois autres Métis d'avoir violé son monopole. La compagnie a beau gagné sa cause devant le tribunal, la communauté croit que les commerçants indépendants ont été exonérés. Contre ces derniers, la CBH luttera désormais en recourant aux techniques de compétition qu'elle a mises à l'épreuve ailleurs dans son domaine pour ralentir l'assaut sur les fourrures dans l'Ouest et le Nord. Dans le Bas-Canada, la compagnie obtient un bail pour les postes du roi en 1832, mais l'avance des bûcherons vers le nord diminue l'importance de la traite des fourrures dans cette région. Simpson réagit alors brillamment en faisant de sa compagnie un important fournisseur de marchandises nécessaires aux bûcherons.

 

Fort Edmonton à l'époque de la traite des fourrures

Lorsque prend fin l'isolement géographique de l'Ouest vers 1840, des institutions de la métropole autres que les intérêts de la fourrure s'engagent dans la colonisation de ce vaste territoire. Les missionnaires catholiques et anglicans, déjà installés au pays, pénètrent au coeur du continent. Ils sont suivis d'aventuriers et d'expéditions gouvernementales (comme l'EXPÉDITION PALLISER) à la recherche d'autres ressources que les fourrures. La mort de Simpson en 1860 et la vente en 1863 de la CBH à l'International Financial Society, un groupe d'investisseurs britanniques qui voient dans la colonisation une source de profits, marquent le début de la fin de l'histoire de la traite des fourrures. En 1870, l'immense territoire de la compagnie dans l'Ouest est transféré au Canada et est bientôt envahi par des colons en provenance de l'Ontario. La colonisation s'étendant dans le Nord et dans l'Ouest, la CBH et ses concurrents, les commerçants indépendants, poussent davantage vers le nord et finissent par établir des contacts commerciaux durables avec les Inuits.

Devant la concurrence et la présence du gouvernement canadien, la compagnie réduit les services de soutien faisant partie de ses relations commerciales avec les autochtones et qui les avait protégés contre les fluctuations du marché de la fourrure en Europe occidentale. Au XXe siècle, les fortunes réalisées dans le commerce des fourrures relèvent des fluctuations du marché et de l'avènement de l’élevage d’animaux à fourrure. Pour obtenir de l'aide en période d'adversité, les autochtones se tournent de plus en plus vers les missions et le gouvernement. Ce changement mène, après la Deuxième Guerre mondiale, aux allocations familiales, à la scolarisation et aux pensions et sonne la fin de l'historique traite des fourrures. Le trappage d’animaux à fourrure se pratique encore dans des régions pionnières à des fines commerciales et fait toujours partie du mode de vie de quelques communautés nordiques.

Du point de vue historique, la traite des fourrures joue un rôle formateur dans la création du Canada. Elle pousse à explorer le pays et demeure la base de l'économie de l'Ouest jusqu'en 1870 environ. La traite des fourrures détermine aussi les modes de relations relativement pacifiques entre autochtones et Blancs au Canada. Cette entreprise économique comporte un aspect social d'une grande importance. Les nombreux mariages entre commerçants européens et femmes autochtones ont généré une société commerçante indigène qui a amalgamé les coutumes et les attitudes européennes et amérindiennes.



25/01/2013
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